Rendre Grâce
Le grognement de l'ours extrait.
A fleur de peau. Je rends grâce aux fractures inattendues de mon existence d’où jaillit une lumière aveuglante qui me laisse désarticulées et pantelant dans ces instants incandescents. Déboussolé par l’absence de repères, de stratégies, d’explications, de mots, de théories, livré à une peur sacrée qui m’éviscère.
A fleur de tripes. Je rends grâce à tout ce que je ne comprends pas, tout ce que je n’accepte pas, tout ce qui m’hérisse de colère et de haine, à tout ce que je rejette dans mon effroi, lave incontrôlable et jaillissante qui me consume totalement .
A fleur de cœur. Je rends grâce à tous ces soleils noirs, épée de silence qui me transperce de part en part. Je rends grâce aux mains de l’horreur qui pétrissent mon coeur sur la table du réel.
Dans la chambre d’une clinique, ma mère était étendue dans le lit de sa complète vulnérabilité. Elle portait une couche comme un pagne d’innocence sur un corps perclus de douleurs. Elle me regardait comme si elle ne me voyait déjà plus ses yeux lavés par l’épuisement. Je scrutais son visage à la recherche d’un signe qui ne venait pas. Il n ‘y avait que la nudité de sa présence quand toutes les issues de secours y compris celle d’un au-delà rassurant se dissolvent dans une terrible absence de réponse.
Je rends grâce aux cris de sa voisine qui emplissaient la chambre d’une litanie sacrée et inconnue. Elle jurait au ciel et récitait un chapelet d’injures et d’obscénités aux infirmiers. Elle jetait au sol sa nourriture que les chiens de l’absurde avalaient goulument.
A une infirmière qui lui faisait remarquer qu’elle était toute nue devant le fils de sa voisine elle s’écria dans un ricanement de fin du monde Ah ! son fils, mais laissez-moi rire. Puis plus tard légèrement assoupie elle susurrait : « maman , maman ».
Christian Pisano
« Il me plait de chanter à nouveau la nudité intérieur. Il n’y a plus de pensée, là où il n’y a plus rien de mien. Je suis réduit à rien. » Jean Tauler.
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